Joe BARRY

(1939 - 2004)

Chanteur, Guitariste

Swamp Pop

13/07/1939

Naissance de Joseph Barrios, à Cut Off, une petite bourgade dans les bayous de la paroisse de Lafourche. Il grandit dans une famille cajun pauvre : sa mère, Joséphine, travaillait dans les champs de canne à sucre et son père, Joseph, était pilote de bateau, en généragl sur le Mississippi, et braconnait les rats musqués, les alligators et les oiseaux sauvages. Joseph était également musicien – il jouait de l’harmonica – comme la plupart des personnes de sa famille. Vin Bruce et Lee Martin, deux artistes locaux bien connus, sont ses cousins. Mais, selon lui, ils n’eurent que très peu d’influence sur sa musique, contrairement à ce qu’il écoutera dans l’émission de radio ‘Grand Ole Opry’.

1944 – 1955

Il n’avait que cinq ans lorsqu’il se fabriqua sa première guitare à partir d’une boite de cigares et du grillage d’une porte ! Puis un  de ses frères lui en offrit une qu’il n’utilisait pas, dont il apprit à jouer seul (en deux jours, selon lui !). Finalement, ses parents lui achetèrent une guitare neuve, de marque Stella, et Joe commença à acquérir de nouvelles techniques de son cousin Vin Bruce. A cette époque, il écoutait de la musique cajun et country& western, particulièrement des artistes comme Ernest Tubb et des louisianais tels que Happy Fats ou Doc Guitry and the Boys. Dans le même temps, il s’intéressa à la musique gospel de la communauté noire. Joe fit ses premières apparitions en public vers l’âge de 8 ans lorsque ses parents l’emmenèrent avec eux dans les ‘Fais Do-Do’ des clubs autour de Cut Off. C’était parfois violent, mais les gens connaissaient la réputation de bagarreur de son père – réputation dont il héritera – et tout se passait généralement bien. Mais la plupart du temps, l’ambiance était plutôt calme, ce qui permit au jeune Joe de jouer toute la nuit avec des orchestres cajuns locaux.

A la fin des années 40, Joe joue souvent avec des musiciens cajuns comme son cousin Vin Bruce, et Blackie Dartez ; à l’occasion, il se joint à des orchestres de country, voire de jazz. Plus tard, il étudiera la musique avec les musiciens de New Orleans Al Hirt et Pete Fountain.

A force d’écouter aussi bien de la musique gospel noire et du cajun, il avait le pressentiment qu’à moment donné ces deux genres allaient se mélanger…

1955 – 1958

Incluant des éléments Rhytm’n’Blues, principalement empruntés à Ray Charles et Fats Domino, Joe commença à jouer, dès 1955, ce style musical qu’on appellera plus tard Swamp Pop. Le public lui demandait de plus en plus de jouer ce drôle de truc ! Il eut alors l’idée de reprendre un titre de Gene Autry, composé par Ted Daffan, I’m A Fool To Care, et de l’adapter à sa nouvelle façon. Les jeunes se mirent à aimer, puis le fut le tour de leurs aînés. Mais les têtes d’affiche du moment refusèrent bientôt de le faire chanter avec leurs orchestres, parce-que les propriétaires de clubs lui proposaient  de prendre leur place !

En cette deuxième moitié des années 50, Joe se rendit régulièrement à New Orleans dans les clubs et les studios d’enregistrement. Il y rencontrait les artistes locaux comme Edgar « Big Boy » Myles, Smiley Lewis, James « Sugar Boy » Crawford et Tommy Ridgley, qui influencèrent son style musical naissant.

C’est en 1956, qu’il publie son premier single, sur Houma, un petit label local avec I’m Walking Behind You et My Shoes Keep Walking Back to You. Il publiera ensuite deux autres singles en 1958, sur Sho-biz, un label détenu par Jim Stewart, un DJ de New Orleans… mais sans grand retentissement, pour l’instant.

1958 – 1961

En 1958, Joe forme son premier groupe, un orchestre de swamp pop de neuf musiciens appelé The Dukes Of Rhythm, en référence aux célèbres Dukes of Dixieland de New Orleans. Il en était le leader sous le non d’artiste de Rockin’ Roland. Ce n’est qu’après avoir quitté le groupe suite à une dispute qu’il prendra le nom de Joe Barry… laissant la place de leader à Joe Carl. Il forme alors The Delphis, le groupe qui va l’accompagner sur son premier disque important, Greatest Moment Of My Life / Heartbroken Love, enregistré en 1960 pour Jin Records ; mais les ventes restèrent très faibles, ne dépassant pas les 1000 exemplaires. Peu de temps après, son cousin Lee Martin, qui travaillait comme producteur de Vin Bruce, envoya à Floyd Soileau une démo de I Got A Feeling, une composition de Joe Barry. La chanson sonnait comme du Ray Charles et Soileau organisa une séance d’enregistrement au studio de Cosimo Matassa à New Orleans. Accompagné des Vikings, son éphémère nouveau groupe, Barry enregistra donc I Got A Feeling, mais aussi I’m A Fool To Care, sa chanson fétiche des clubs. Malgré sa déception de ne pas retrouver le son de Ray Charles initial dans le résultat, Floyd Soileau fut si convaincu par l’autre titre qu’il conclut un accord de promotion avec Huey P. Meaux. Son intuition était bonne car le disque se vendit vraiment bien dans tout le Sud de la Louisiane et le Sud-Est du Texas qu’il le céda à Mercury qui le diffusa sur tout le territoire sur son sous-label Smash.

1961 – 1967

En avril 1961, la chanson était N° 24 au hit-parade du Billboard, ce qui amena Joe Barry à participer à l’American Bandstand, l’émission de télévision de Dick Clark… ce qui surprit plus d’un noir qui réalisèrent tout d’un coup que Barry était blanc ! La chanson était en effet N° 15 du hit-parade R’n’B et atteint même la 49ème place en Angleterre où Mercury l’avait publiée. Dans l’intention de toucher un public encore plus large, il enregistra la même année une version en cajun français, sous le nom de Josef Barrios, intitulée Je Suis Bêt Pour T’Aimer. La chanson sortit avec Oh Teet Fille sur la face B. Cette version marcha non seulement dans le Sud de la Louisiane, mais aussi au Canada et en France !

Grâce au succès de la chanson – plus d’un million d’exemplaires vendus – le voilà maintenant se produisant dans les riches night-clubs des grandes villes des côtes Ouest et Est… ce qui le confronta à des personnages plus ou moins douteux, beaucoup de patrons de clubs étant de la mafia.

I’m A Fool To Care fut suivi de plusieurs autres succès mineurs, sur Jin et Smash. Teardrops In My Heart / For You Sunshine atteindra la soixante-troisième place en août 1961. Il publia également quelques faces sur Jamie et SOM sous le pseudonyme de Roosevelt Jones dans le but de toucher un public noir qui n’achetait pas de disque de R’n’B chanté par un artiste blanc. Barry quitta Smash au milieu des années 60 pour enregistrer exclusivement pour Princess, un des labels de Huey P. Meaux. En 1963-64, il enregistra notamment une dizaine de faces avec le guitariste Joey Long et la chanteuse cajun Mary McCoy, dont une version de Big Mamou.  Vers 1965, il avait une douzaine de singles à son actif sur Princess.

A cette époque, il se produit régulièrement à l’Esquire Ballroom de Houston et plus particulièrement au Papa Joe’s à New Orleans, où en 1965, il faisait équipe avec les artistes de Swamp Pop Freddy Fender – qui sortait juste de prison – et Joey Long, puis avec les chanteurs de R’n’B Skip Easterling et Mac Rebennack. Ils ont alors le « truc le plus chaud » du French Quarter et jouent toute la nuit, commençant des jam sessions à trois heures du matin. Il tient avec l’aide de substances diverses et de pilules. Mais en 1967, Joe n’en peut plus ! Ses frasques et ses excès étaient vraiment énormes ! Il mettait le feu partout où il passait. Plus tard, lors d’une convention des Holiday Inn, une chambre détruite par Barry fut reconnue comme « la chambre la plus dévastée du monde ! ». Son goût pour l’alcool et les pilules était à la hauteur de son penchant pour la destruction. Epuisé par tous ces excès et les longues heures passées sur la route et sur scène, mais aussi écœuré de se faire voler des royalties, Joe Barry quitte le milieu de la musique.

1967 – 1968

Il revint s’installer dans la région de Cut Off et de fit embaucher sur les plate-formes pétrolières offshore.

Mais la musique était la plus forte, et il retourna bien vite en studio pour Houma, le label pour lequel il avait enregistré à ses débuts. Il fut payé avec une guitare et un magnétophone ! Les bandes se révélèrent défectueuses, mais les tentatives de sauvetage prirent fin lorsqu’elles furent détruites par le feu !

1968 – 1976

En 1968, il trouva du boulot comme musicien de studio à Nashville et signa chez Nugget un contrat de cinq ans. Il enregistra six titres dont deux, Today I Starting Loving You Again de Merle Haggard et le Chantilly Lace de Big Bopper s’annonçaient prometteurs. Mais, lassé des conflits avec le label, Barry refusa d’enregistrer à nouveau pour Nugget qui, en retour, refusa de le libérer de son contrat. Etant maintenant dans l’incapacité d’enregistrer pour qui que ce soit, Joe Barry réintégra les plate-formes pétrolières de Louisiane.

Au début des années 70, il changera complètement de vie pour se consacrer à la religion, ce qui lui permit de faire face à cette période difficile.

1976 – 1977

En 1976, il put de nouveau reprendre une activité musicale. Il enregistra l’album Joe Barry à Houston avec l’aide de Huey P. Meaux et Freddy Fender qui espéraient bénéficier du succès rencontré à ce moment-là par Freddy Fender chez ABC/Dot. Mais les ballades country n’étaient pas sa spécialité, bien que le disque soit une réussite artistique. De plus, peu de temps après sa sortie, en 1977, un important remaniement au sein du label envoya l’album dans les oubliettes !

1977 – 1999

Encore une fois, il revint à Cut Off et devint vendeur de voitures d’occasion.

En 1980,il enregistra un album entier de gospels, Sweet Rose Of Sharon, avant de servir un temps comme prédicateur missionnaire en Afrique, puis dans les Caraïbes. Effaré par la corruption de certains ‘télévangélistes’, Barry rentre, écœuré, à Cut Off. Dans la deuxième moitié des années 8à, il va subir plusieurs revers de fortune et doit faire face à de grave problèmes de santé. Cette situation l’amène à vivre dans une grande pauvreté, dans une maison sans électricité, ni gaz et eau courante ! Il semble que ce soit la chute d’une lanterne qui déclencha l’incendie qui détruisit lamaison et la quasi-totalité de ses affaires, dont une importante collection de disques. Ses amis organisèrent des manifestations de bienfaisance pour lui venir en aide.

Joe continua encore quelques années à se produire sporadiquement, mais la dégradation de sa santél’empêcha rapidement de monter sur scène. Il fut même incapable de publier deux albums sur lesquels il travaillait pour son propre label, New Dawn, ni un troisième pour label de Nashville. En 1993, il fut honoré lors d’un concert « Tribute to Joe Barry » à Lafayette auquel participèrent plusieurs des principaux artistes de swamp pop : Jivin’ Gene, Clint West, Grace Broussard, John Fred, T.K. Hulin, Rod Bernard, Little Alfred, Lil’ Bob et Warren Storm.

En 1999, grâce à l’action d’Aaron Fuchs, du label Night Train International de New York, l’œuvre intégrale de Joe Barry est publiée sur un double CD.

2000 – 2004

A l’automne 2000, un nouveau projet d’enregistrement émerge grâce à trois personnes : Aaron Fuchs, encore, Michael Vice, un saxophoniste et producteur local, et Pershing Wells, producteur et guitariste au sein du Blue Eyed Soul Revue, orchestre local bien connu qui a notamment accompagné des artistes comme Percy Sledge, Ernie K-Doe ou Jean Knight, parmi d’autres. Il faudra trois ans pour que le projet aboutisse. Joe Barry est très diminué et incapable de chanter une chanson entière en une seule prise. Pershing Wells enregistre donc les parties rythmiques et les cuivres comme ilpeut, en fonction des occasions qui se présentent, puis se rend chez Joe Barry, à Cut Off, pour y enregistrer la voix, petit bout par petit bout. A part la reprise swamp pop de Every Breath You Take de Sting, enregistrée, comme I’m A Fool To Care quarante ans plus tôt, en anglais et en français, toutes les chansons sont de Joe. Le résultat est magnifique et reçoit un accueil extraordinaire. A sa sortie, en avril 2003, Been Down That Muddy Road est considéré comme l’un des meilleurs albums régionaux de l’année.

Après la sortie de l’album, Aaron Fuchs, désirant immortaliser la vie de Joe Barry sur bande, contacta Carol Carimi Acutt, qui avait déjà réalisé des documentaires sur la musique en Louisiane. Malgré la mauvaise santé de Joe, plusieurs interviews  furent effectuées et devinrent la base d’un film documentaire.

31/08/2004

Malheureusement, Joe ne pourra profiter de cette nouvelle célébrité que peu de temps, ses multiples problèmes de santé ayant eu raison de lui un peu plus d’un an après la sortie de l’album ! C’est à l’hôpital de Houma, où la veille de son décès il amusait les infirmières en chantant et jouant de la guitare, que Joe nous quitta suite à des complications cardiaques.

Pionnier du Swamp Pop, lorsqu’il fut l’un des premiers à intégrer les éléments Rhythm and Blues de Smiley Lewis et Fats domino à la musique cajun, mais aussi de l’autodestruction, Joe Barry est une véritable légende !

Il reste un artiste unique, talentueux et très attachant, malmené par une vie chaotique, mais toujours guidée par l’amour de la musique.

Discographie (discographie détaillée)

Joe Barry

DOT

1977

Sweet Rose Of Sharon

The Lion Of Judah

1980

I’m A Fool To Care – His Fats Domino Sound

Princess

1990

I’m A Fool To Care – The Complete Recordings 1958 – 1977

Night Train International

1999

The Loneliest Boy In Town: The Crazy Cajun Recordings – Vol. 1

Edsel

1999

Aka Roosevelt Jones: The Crazy Cajun Recordings – Vol. 2

Edsel

2000

I’m A Fool To Care: Classic Performance From The 1960’s

Music Club

2001

Been Down That Muddy Road

Night Train International

2003

Mon choix : Been Down That Muddy Road (Every Breath You Take / Backstreets of Houston / Cajun King / A Smoke-Filled Barroom / Louisiana Moon / Muddy Road / Tchoupitoulas Road / Back to New Orleans / Watching Raindrops / Hey la La / Rollin Bones / Handle With Care / Freedom Express / Every Breath You Take (French Version) / So Long, Goodbye)

L’album de la résurrection ! Plus de quarante ans après I’m A Fool To Care, et malgré une santé bien mal en point, Joe Barry nous offre un petit miracle de bonheur avec cet album inespéré. Quel plaisir de retrouver cette voix chaude et cette musique que la critique saura apprécier à sa juste valeur !

Pour en savoir plus : South To Louisiana – The Music of the Cajun Bayous, de John Broven, Pelican, 1983; Swamp Pop – Cajun and Creole Rhythm And Blues, de Shane Bernard, University Press of Mississippi, 1996.

Films : Been Down That Muddy Road: The Legend of Joe Barry, film documentaire de Carol Carimi Acutt, 2008.

Internet : www.peshingwells.com/joe_barry.htm; www.muddyroadmovie.com;