James ‘Sugar Boy’ CRAWFORD

(1934 - 2012)

Chanteur - Pianiste

R’n’B

12/10/1934

Naissance de James Crawford, Jr., à New Orleans, en Louisiane. Il est le fils unique de Mary et James Crawford et grandit dans le quartier ‘Uptown’ de New Orleans, sur LaSalle Street, entre Thalia et Clio Streets. Le jeune garçon est très gentil et doux et est alors surnommé ‘Sugar Boy’. Comme beaucoup de jeunes de son époque, il va à l’église tous les dimanches car il aime chanter dans la chorale. Il apprend les bases du piano à l’école élémentaire et grâce à une dame du voisinage, Gladys Deveau, qui possède un instrument et qui laisse les enfants du quartier s’en servir. Il entre ensuite à la Booker T. Washington High School où il a ses premières leçons de musique. Ne pouvant pas jouer du piano dans l’orchestre du lycée, il apprend la batterie pour pouvoir en faire partie. Mais après cette première année, le professeur de musique demanda des volontaires pour jouer du trombone. James se mit alors au trombone qu’il apprit durant l’été et qui devint son instrument préféré.

Mais son intérêt pour la musique ne se cantonna pas au groupe du lycée. Il commença à travailler des morceaux de blues et de spirituals, répétant plus ou moins formellement avec des amis chez Mme Deveau. Pour lors, il ne s’agit que d’une bande de copain qui se font plaisir. Outre James, il y a Edgar ‘Big Boy’ Myles au trombone et au chant, Warren ‘Jake’ Myles, le frère d’Edgar, au piano, Nolan ‘Sha-Wee’ Blackwell au saxophone alto, Irvin ‘Cat’ Banister à la guitare et au chant), Alfred ‘Hot Lips’ Woodard à la trompette, et Alfred Bernard au saxophone ténor.

1952 – 1953

Dr. Daddy-O, le célèbre DJ, eut vent de ce nouveau groupe et vint les écouter. Cela lui plut et il leur proposa de jouer dans son émission du samedi matin entre 11h45 et midi. Le groupe n’avait alors même pas de nom ! Cependant ils avaient un titre instrumental, Chapaka Shawee, qui leur servait de thème principal (il s’agissait d’un terme créole dont ils ne connaissaient même pas la signification !) et Dr. Daddy-O, qui tenait une chronique hebdomadaire dans le Louisiana Weekly, écrivit : « vous devriez écouter ces gamins Chakapa Whawee chaque samedi »… et le nom est resté ! Les gens ont commencé à appeler la station de radio pour nous engager. C’est donc Dr. Daddy-O qui leur trouva leur premier engagement, au Shadowland Club sur Washington Avenue, en 1952. Mais, comme ils allaient encore tous au lycée, ils ne pouvaient jouer que le week-end. Leur nom commença à circuler et vint aux oreilles des maisons de disques. Dr. Daddy-O contacta Dave Bartholomew qui travaillait à ce moment-là pour Aladdin Records, la firme de Los Angeles. Un contrat fut négocié et le 23 novembre 1952, le groupe entra pour la première fois en studio pour enregistrer quatre titres. Un premier single, Early Sunday Morning / No One To Love Me, fut publié sous le nom de The Sha-Weez en décembre. Malgré de faibles ventes, le disque leur permit d’élargir leur audience et faire de la promotion pour leur prestation radiophonique hebdomadaire. Les deux autres titres (You Made Me Love You / Feeling Sad) restèrent inédits. Le groupe se produit ensuite dans divers clubs de la région, comme le Tiajuana, le Dew Drop ou Le Joy Lounge de Gretna, ainsi qu’en d’autres endroits dénichés par Frank Pania.

En 1953, la composition du groupe évolua et Eric ‘Skee-Za’ Warner devint le nouveau batteur avec David Lastie au saxophone ténor. Le groupe est alors à son sommet et joue cinq à six soirs par semaine.

Un jour de 1953, Leonard Chess, de passage en ville pour faire de la promotion, entendit par hasard une répétition du groupe au studio de la radio WMRY, situé dans l’immeuble de la compagnie d’assurance vie de Louisiane, rue Dryades. Intéressé, il leur proposa de jouer des chansons originales afin d’enregistrer deux ou trois titres. A la fin, il leur donna cinq dollars en leur disant qu’ils auraient bientôt une surprise. Le temps passa et ils n’y pensèrent plus ! Mais un mois plus tard, James revint dans le studio et Ernie the Whip, le disc-jockey, lui montra un 45t qu’avait publié Chess sur son label Checker en octobre 1953, avec les deux titres, I Don’t Know What I’ll Do et Overboard, enregistrés un mois plus tôt. A la surprise de Crawford, qui était surnommé ‘Sugar Boy’ depuis tout petit, Leonard Chess avait attribué le disque à James ‘Sugar Boy’ Crawford and His Cane Cutters, bien qu’aucun contrat n’ait été signé ! (En fait, le contrat avec Aladdin n’était toujours pas arrivé à son terme). Mais, à l’époque, les membres du groupe ne sont que des adolescents qui habitent chez leurs parents, et la parution d’un disque sous leur nom leur apportait une gloire inespérée. Avec les cinq dollars qu’ils avaient gagnés, ils étaient les plus heureux du monde ! Bien que les ventes du disque fussent décevantes au niveau national, il obtint un modeste succès local pour que Chess poursuive l’aventure.

1954 – 1956

Crawford signa alors un contrat avec la maison de disques et une nouvelle session fut planifiée, cette fois-ci au studio de Cosimo Matassa, en janvier 1954. Le groupe, qui avait maintenant adopté le nom de The Cane Cutters, fut complété, entre autres, par le guitariste Snooks Eaglinn et le bassiste Frank Fields. Cette session apporta à James Crawford son plus gros succès, avec le disque Jock-A-Mo / You, You, You. Jock-A-Mo, propulsé par la distorsion de la guitare incisive de Snooks Eaglin et le rythme ‘second line’ lancinant d’Eric Wagner, reste l’un des tous premiers morceaux à réussir à capturer le ‘Carnival Sound’ et se vendit comme des petits pains lors de la période du Mardi Gras de 1954, mais retomba rapidement dans l’oubli. Ce n’est que dix ans plus tard, après la version des Dixie Cups qu’elle revint sur le devant de la scène. La chanson est maintenant devenu un standard du Mardi Gras et continue, encore de nos jours, à se vendre. A l’époque, le magazine Cashbox en fit pourtant sa sélection de la semaine, qu’elle accompagna d’un texte très flatteur. Pour l’anecdote, Crawford chantait en fait une onomatopée proche de "Chockamo" ; c’est Leonard Chess qui, ne sachant pas très bien à quoi cela correspondait, publia la chanson avec l’orthographe "Jock-A-Mo", au grand étonnement de James Crawford. Suite au succès de la chanson, James Crawford se produisit à New York, dans des clubs comme le Copa Cabana ou le Copa Casino. Un troisième 45t fut publié, en mai 54, avec I Bowed On My Knees et No More Heartaches. Leonard Chess, tentant de capitaliser sur ce succès, fit enregistrer activement les Cane Cutters, soit avec d’autres artistes de New Orleans, soit avec des membres du groupe comme ‘Big Boy’ Myles, Snooks Eaglin ou ‘Slim’ (Sylvester) Saunders. Ces enregistrements, bien que transmis régulièrement à Chicago, ne furent publiés que vingt ans plus tard. Un autre single Checker fut édité, avec No More Heartaches et I Bowed On My Knees, mais sera le dernier pour le label.

Fin 1954, le groupe avait un spectacle régulier au Carousel Club, une boîte de nuit pour blancs, à West Baton Rouge. James Crawford resta deux ans à Baton Rouge, jusqu’en 1956, date à laquelle il rentra à New Orleans afin de se rapprocher des studios d’enregistrement.

En 1955, ‘Big Boy’ Myles quitta le groupe pour rejoindre Lil Millet and The Creoles. C’est lors d’un concert au Sugar Bowl de Thibodeaux que Bumps Blawkwell, de Specialty Records, les découvre. Finalement, c’est un concentré des Sha-Weez et des Creoles qui se retrouve au studio J&M le 25 septembre 1955 pour une nouvelle session. Deux disques sont publiés en novembre 1955, l’un attribué à Big Boy Myles And The Sha-Weez (Who’s Been Fooling You? / That Girl I Married), l’autre à Lil Millet And His Creoles (Rich Woman / Hopeless) ! Un an plus tard, le 23 octobre 1956, Big Boy Myles reviendra en studio pour Specialty avec les Sha-Weez, mais sans Carwford, pour deux titres, Just To Hold My Hand et Hickory Dock, qui sortiront le mois suivant.

1956 – 1958

Après son départ de chez Chess, Dave Bartholomew avait proposé à James Crawford d’enregistrer pour Imperial. Finalement, ce sera concrétisé en 1956. Pour ces sessions, il est accompagné par le fameux orchestre de Dave Bartholomew. Imperial publia quatre singles de James Crawford dont le toujours populaire Morning Star, écrit par James Crawford, une reprise de la ballade de Pee Wee Crayton, I Need Your Love, le suave You Gave Me Love et le torride She’s Got A Wobble (When She Walks) dans lequel il chante les louanges de sa « big fat mama qui fait du 55 de tour de poitrine et 65 de tour de hanche ! ». Tous les disques de Crawford se vendaient bien à New Orleans et dans le grand Sud. Mais, en 1958, Imperial consacra quasiment toute son énergie sur la promotion de Ricky Nelson et d’autres jeunes artistes blancs. Du coup, les artistes noirs comme James Crawford en firent les frais et se retrouvèrent sans maison de disques.

1958 – 1961

Le groupe, très populaire à cette époque, tourne énormément, du Texas à la Georgie, dans les clubs et les soirées étudiantes, notamment. Ce n’est qu’en 1959 qu’il a l’occasion d’enregistrer à nouveau, cette fois-ci pour Montel, le label de Sam Montalbano à Baton Rouge. Sam l’avait entendu au Carousel chanter Danny Boy et lui proposa d’enregistrer la chanson. Il fit enregistrer la partie instrumentale par des musiciens avec qui il travaillait, à Baton Rouge et envoya la bande à Cosimo Matassa, à New Orleans, où James Crawford enregistra la partie vocale. Le titre fut publié pour Noël 1959, avec White Christmas en face B. Mais comme le public préférait Danny Boy, Montel ressortit le disque après Noël, avec une autre face B : Round And Round. A partir de 1960, il travaille avec un groupe vocal (qui chantait alors pour Wardell Quezergue sous le nom des Little Raelettes) comprenant Linda et Dianne DeGrue, Irene Johnson et mary Kelly et ils se produisent sous le nom de Sugar Boy & The Sugar Lumps, après que le batteur LeRoy ‘Batman’ Rankin les ai annoncé sous ce nom lors de leur première prestation au Safari Club.

1961 – 1963

Son disque suivant fut fait pour Johnny Vincent et son label Ace, en 1961. En fait, il réenregistra son tout premier morceau pour Chess, I Don’t Know What To Do, qu’il rebaptisa I Cried, et Have A Little Mercy, une autre de ses compositions. A cette occasion, il travailla avec Mac Rebennack. Malheureusement des problèmes de distribution ne permirent pas au disque, sortit pour la première fois sous son seul nom, de se bien se vendre !  Il enregistra également un album entier pour Ace, avec le chanteur Jimmy Clanton, qui deviendra la bande originale du film Teenage Millionaire.

1963 – 1969

En 1963, le groupe venait de signer un nouveau contrat d’enregistrement avec le label Peacock Records. C’est alors qu’intervint un événement tragique qui mit fin à sa carrière… et qui faillit bien mettre également fin à sa vie. James Crawford, qui était noir, « commit l’erreur » de voyager dans une voiture neuve, à un endroit où il n’était pas bien vu d’être noir et prospère. Il se souvient : « C’était en 1963, à l’époque où tout le monde était inquiet à cause des marches pour la liberté. Nous nous rendions à un engagement lorsque la police nous a arrêté, à Monroe, en Louisiane. Ils ont dit que j’étais ivre et que je roulais trop vite. Ils m’ont alors sorti de la voiture et m’ont frappé avec un pistolet. Cela a provoqué un traumatisme crânien et je me suis retrouvé à l’hôpital de Monroe pour trois semaines avant de pouvoir rentrer chez moi. Je suis resté paralysé pendant quasiment un an ; J’étais comme un enfant. En fait, j’avais un caillot de sang dans la tête, je ne pouvais ni entendre, ni voir, ni même marcher. J’étais comme mort. Ils ont dû m’opérer pour me mettre une plaque dans la tête. Je suis revenu progressivement à la normale, mais j’ai eu besoin d’assistance pendant deux ans. La première fois que j’ai revu un piano, je savais ce que c’était, mais je ne savais plus comment on en jouait. »

La justice blanche de Monroe l’inculpa de conduite en état d’ivresse afin de justifier les dégâts subits ! Malgré tout ça, il n’est même pas rancunier et sa foi en Dieu l’empêche d’en vouloir à qui que ce soit. « J’étais tout simplement le dindon de la farce » dit-il en haussant les épaules.

Finalement, la session Peacock eut bien lieu, pendant sa convalescence et, malgré son absence, le disque fut publié sous le nom de Sugar Boy and the Sugar Lumps.

1969 – 1995

James Crawford a bien tenté un temps de revenir à la musique, mais depuis 1969, il ne chante plus qu’à l’église ! Bien qu’ayant recouvré la santé, James Crawford n’a jamais retrouvé le potentiel de musicien et chanteur qu’il avait avant l’incident. Il décida alors d’apprendre un nouveau métier et, grâce à l’école de commerce, devint chauffagiste. Il créa sa propre entreprise – C&C Locksmiths – et travailla à l’entretien de différents immeubles de New Orleans, comme le Masonic building, sur St. Charles Avenue, qui abrita longtemps le siège du journal musical local OffBeat.

Depuis 1995

Après plus de trente ans d’absence, c’est son petit-fils, Davell Crawford, qui lui permet un timide retour dans le métier en le faisant chanter sur son album de 1995, Let Them Talk. Depuis, il fait épisodiquement quelques apparitions publiques, comme lors du NOJ&FH Festival en 1996 et, plus tard, lors de la septième édition du Ponderose Stomp, en avril 2008. Il fera une de ses dernières apparitions publiques avec le chateur de gospel Jo "Cool" Davis lors du Jazz Fest de 2012.

15/09/2012

En septembre, il tombe malade et ne se relèvera pas. Il décède le 15 septembre 2012, à New Orleans à l’âge de 77 ans.

Le vrai créateur de Iko Iko, c’est lui, James ‘Sugar Boy’ Crawford, dont le Jock-A-Mo, est à l’origine du tube international des Dixie Cups dans les années 60 et repris maintes fois depuis.

Pendant plus de dix ans, son groupe fut l’un des meilleurs de la ville et quantité d’excellents musiciens ont fait leurs classes avec lui.

Discographie

Sugarboy Crawford – Chess Masters (2 LP)

Chess

1976

Sugarboy Crawford (2 LP)

Chess

1984

New Orleans Classics

Imperial

1985

1953 – 1954 (mêmes titres que les Chess, en CD)

Classics R&B

2005

Mon Choix : Sugarboy Crawford (Overboard / I Don't Know What I'll Do / You Know I Love You / Stop / Watch Her Whip Her / Honey / I Bowed On My Knees / Wandering Baby / No More Heartaches / What's Wrong / Love Love Love / Troubled Mind Blues / Ooh Wee Sugar / There Goes My Baby / Jockomo / You You You / You Call Everybody Sweetheart / If I Loved You Darling / Get Away / Please Believe Me / For Me / Wondering / Night Rider / Long Lost Stranger)

 

Toute la période Chess/Checker réunie dans ce double LP ; les six titres publiés en 45t, bien entendu, mais aussi tous les autres, non publiés à l’époque. Magnifique !

Pour en savoir plus : The Soul Of New Orleans (A Legacy Of Rhythm And Blues) de Jeff Hannusch (Swallow Publications, 2001) dans lequel l’auteur lui consacre un chapitre.

Internet : http://randb60soldiesman.blogspot.com/2009/02/james-sugarboy-crawford.html ; http://home.att.net/~marvart/Shaweez/shaweez.html ;